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LAM - Libres Apprenants du Monde -
26 juillet 2018

- Une société sans école - I.Illich ( 1971)

- critique du livre par "Colimasson"

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Une société sans école décrit mal l’état d’esprit du titre original donné par Ivan Illich à son essai. Plus littéralement, il aurait du s’intituler : Déscolarisons la société. Ce titre, un peu moins aguicheur, aurait pourtant eu le mérite d’indiquer plus pertinemment l’objectif poursuivi par Illich dans sa réflexion sur l’institution scolaire.

Publié en 1971, cet essai doit aujourd’hui éblouir pour sa lucidité et son intuition. Au fil des décennies, le constat appuyé par Illich s’est aggravé : la reconnaissance par les diplômes est devenue la seule que l’on puisse légitimement exiger pour l’accès à l’emploi ; la course aux études longues devient de plus en plus impitoyable ; la compétition s’accroît ; la confiance que l’on accorde aux autres et à soi-même diminue ; enfin, le système scolaire n’arrive plus à cacher ses faiblesses et peine à légitimer une consommation accrue de « connaissances » qui n’assurent même plus l’accès à une profession stable.

Je ne crois pas avoir été en désaccord avec le moindre constat qu’Illich dresse de notre société « scolarisée » et, plus généralement, « institutionnalisée » (car la critique adressée à l’école peut s’étendre à toutes les autres institutions de services telles, par exemple, les institutions de la santé ou le système carcéral).
Nous sommes engoncés dans le paradigme de l’éducation obligatoire, à tel point que plus personne ne pense à remettre en question un système éducatif qui semble aller de soi. La dangerosité se situe dans cette évidence. Elle rend l’individu passif en lui faisant croire que son instruction ne peut se faire en dehors de la consommation normalisée du savoir qu’on lui impose par la fréquentation régulière des « temples » de l’éducation, et elle lui fait croire que tout savoir capturé en-dehors de ce cadre précis ne possède aucune valeur. Elle détruit ainsi l’autonomie des individus et leur capacité à croire en eux-mêmes et en leurs semblables, et les force à se tourner vers l’offre proposée par l’institution. Toutefois, comme celle-ci ne fournit pas la même qualité et la même convivialité que l’apprentissage autonome, l’individu est marqué par un sentiment de frustration et de malaise.


« L’enseignement fait de l’aliénation la préparation à la vie, séparant ainsi l’éducation de la réalité et le travail de la créativité. Il prépare à l’institutionnalisation aliénatrice de la vie en enseignant le besoin d’être enseigné. Une fois cette leçon apprise, l’homme ne trouve plus le courage de grandir dans l’indépendance, il ne trouve plus d’enrichissement dans ses rapports avec autrui, il se ferme aux surprises qu’offre l’existence lorsqu’elle n’est pas prédéterminée par la définition institutionnelle. »


L’éducation, considérée comme un produit de consommation de nos sociétés modernes, est une conception qui peut de prime abord surprendre. Cet étonnement traduit justement la pertinence de l’hypothèse : remettre en question le système de l’éducation tel que nous le connaissons aujourd’hui ? Quelle idée ! Bien installé dans notre société, revendiqué comme un héritage précieux des luttes menées par nos ancêtres pour un libre-accès à l’éducation, ce système semble aller de soi.
Cette évidence est abrutissante. Nous absorbons sans nous poser de questions. Là où le système éducatif échoue, ses consommateurs sont désignés comme responsables. Si tu n’as pas réussi à obtenir le diplôme que tu préparais, c’est à cause de ta médiocrité ; si tu n’as pas réussi à gravir l’échelle sociale, c’est parce que tu n’as pas su profiter des opportunités que l’on te proposait. L’enseignement obligatoire, dispensant des cours formatés qui ont peu de chance de correspondre aux attentes des élèves au moment où on les leur propose, est assimilé à un gavage forcé qui dégoûte plus qu’il n’éduque. Tous remplis des mêmes connaissances, englouties à la va-vite, rarement avec envie, plus souvent par nécessité (une nécessité provisoire dont le terme dépasse rarement la préparation d’un examen), l’enseignement nous rend passif et annihile l’originalité de chacun.

On pourra dire que la critique est facile, et se demander ce qu’Illich propose pour remplacer ou améliorer le système éducatif. Une société sans école propose quelques pistes, qui s’appuient sur des exemples concrets qui ont fait leurs preuves (l’apprentissage d’une langue peut se faire en quelques semaines si les élèves sont soumis à des situations concrètes de la vie quotidienne dans laquelle ils pourront ultérieurement trouver leurs intérêts).
Plus généralement, Ivan Illich souhaite avant tout abolir la notion de maître et d’élève, de programmes définis et obligatoires et de fréquentation régulière des établissements du savoir. Rien ne doit obliger l’individu à apprendre ou à enseigner. Seule sa motivation doit le guider dans son processus d’apprentissage pour que celui-ci soit efficace. Le concept des universités libres répond peut-être déjà, de manière partielle, aux exigences scolaires d’Illich…


« Il serait possible de concevoir une solution plus révolutionnaire en créant une sorte de « banque ». Ainsi, on donnerait à chaque citoyen un premier crédit lui permettant d’acquérir des connaissances de base. Ensuite, pour bénéficier de nouveaux crédits, il lui faudrait lui-même enseigner, soit dans les centres organisés, soit chez lui, voire sur les terrains de jeu. Le temps passé à enseigner par l’exemple et la démonstration serait celui-là même qui lui permettrait de bénéficier des services de personnes plus instruites. Une élite entièrement nouvelle apparaîtrait, constituée de ceux qui auraient gagné leur éducation en la partageant avec autrui. »



Peut-être pourra-t-on reprocher à Illich de proposer des solutions irréalisables. Lui-même en est conscient, et il sait qu’une remise en question du système de l’éducation ne pourra se réaliser sans un chamboulement profond de toutes les institutions et valeurs qui façonnent notre société (autrement dit, il y a du boulot à l’horizon). Frisons-nous l’utopie ? Peut-être, mais je ne pense pas que cela soit rabaissant car Illich, même s’il frôle souvent l’idéalisation, a au moins le mérite de remettre en question un système dont rares sont ceux qui osent critiquer le caractère quasi-sacré.
Sa réflexion, loin de toucher uniquement aux problèmes de l’éducation, s’étend également à la condition de l’homme dans la société institutionnalisée moderne, et ouvre de nombreuses œillères que nous conservions parfois par manque de regard critique. Si Illich ne convaincra pas tout le monde par l’extrémisme de ses idées, il mérite tout du moins qu’on le respecte pour sa détermination.

« Le but qu’il faut poursuivre, qui est réalisable, c’est d’assurer à tous des possibilités éducatives égales. Confondre cet objectif et la scolarité obligatoire, c’est confondre le salut et l’Eglise. »

Pour conclure, un très beau passage de cet essai :

« Vivre à New-York suppose l’apparition d’une conception particulière de la nature de l’existence et de ses possibilités. Sans cette vision, la vie à New-York devient impossible. Un enfant des rues n’y touche jamais rien qui n’ait été scientifiquement conçu, réalisé et vendu à quelqu’un ; les arbres qui existent encore sont ceux que le service des jardins publics a décidé de planter. Les plaisanteries que l’enfant entend à la télévision ont été programmées à grand frais. Les détritus avec lesquels il joue dans les rues de Harlem ne sont que les emballages conçus pour attirer le consommateur. L’éducation elle-même se définit comme la consommation de diverses matières, faisant partie de programmes, objets de recherche, de planification et de promotion des ventes. Tous les biens sont le produit de quelque institution spécialisée et ce serait sottise, par conséquent, que d’exiger quelque chose qu’une institution quelconque ne saurait produire. L’enfant de la ville n’a rien à attendre, rien à espérer, sinon ce que lui promet le développement possible des méthodes de fabrication. Pour satisfaire son imagination, on lui fournit au besoin quelque récit d’ « anticipation » ! Et que connaît-il, d’ailleurs, de la poésie de l’imprévu ? Son expérience en ce domaine se limite à quelque découverte dans le caniveau : une pelure d’orange qui flotte sur une flaque. Il en vient à attendre l’instant où l’ordre implacable s’interrompra : une panne d’électricité, une échauffourée dans la rue. »

Une-Societe-sans-ecole

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Commentaires

Jiddu Krishnamurti a dit : 

Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale que d'être adapté à une société malade.

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