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LAM - Libres Apprenants du Monde -
9 avril 2020

Continuité pédagogique, confinement et "école à la maison".

Lettre aux parents d'enfants habituellement scolarisés.

Non, vous n'expérimentez pas vraiment l'instruction en famille...

boys-reading-outdoors

Chers parents,

 

Depuis la fermeture provisoire des établissements d'enseignement, vous vous retrouvez dans l'obligation de contribuer à cette fameuse « continuité pédagogique » mise en place par le ministère de l’Éducation nationale1... Vous vous retrouvez peut-être à galérer avec des consignes incompréhensibles, à crouler sous les mails et autres appels visio avec les profs, à fliquer vos enfants et les contraindre pour leur extorquer leur temps de travail scolaire quotidien, le tout au milieu des autres tâches dont vous devez vous acquitter... De nombreux témoignages relatent cette énorme pression scolaire qui vient de s'abattre sur les parents des plus de 8 millions d'enfants scolarisés en France.

Dans cette situation, si vous êtes un peu au fait de pratiques exotiques, vous vous êtes certainement posé une question : « mais comment font les parents qui en temps normal ne scolarisent pas leurs enfants ? C'est donc ça, l'école à la maison ? Mais quelle horreur ! »... Et c'est là que vous faites erreur... parce que la galère que vous vivez actuellement entre classe connectée et télétravail, ou entre école virtuelle et travail malgré les risques, n'a absolument rien à voir avec ce que nous vivons en instruisant nos enfants en dehors des murs de l'école. Non, vivre avec des enfants soumis à la « continuité éducative » n'a rien à voir avec la pratique de l'instruction en famille.

L'instruction en famille, puisque c'est son nom, revêt de multiples formes, en fonction des familles et de leurs choix2. Il est légal en France de ne pas scolariser ses enfants, puisque c'est l'instruction qui est obligatoire et non la scolarisation. Des familles choisissent donc de prendre en charge elles-mêmes l'instruction de leurs enfants. Cela concerne moins de 25 000 enfants3 (soit environ 0,3% des enfants en âges d'instruction obligatoire). L'instruction en famille peut être proche d'un format scolaire, mais elle peut aussi se trouver à mille lieues de ce modèle. Et c'est bien là, au cœur de cette liberté pédagogique, que réside tout l'intérêt de l'instruction en famille. La majorité des familles instruisant elles-mêmes leurs enfants ont recours à des cours à distance et adoptent un format proche de celui de l'école. D'autres adaptent des pédagogies alternatives à la maison (Montessori, Masson, Steiner...), d'autres encore piochent des ressources diverses et variées sur internet, et d'autres enfin, préfèrent faire confiance à la curiosité naturelle des enfants et répondre à leurs envies d'apprendre en pratiquant les apprentissages informels (ou autonomes, auto-gérés, ou encore appelés « unschooling »). Beaucoup de familles mixent ces différentes approches au gré de leurs besoins.

Nous avons des comptes à rendre à l’Éducation nationale, annuellement, sur la réalité de l'instruction offerte à nos enfants4. Ces contrôles sont bien souvent pesants pour les familles. Mais malgré cela, l'instruction en famille peut offrir une fenêtre de liberté inégalée. Nous établissons nous-mêmes nos emplois du temps, nous n'avons pas d'horaires à respecter, pas de programmes à suivre impérativement, ni de devoirs à rendre en temps et en heures, pas de comparaisons, de notations, de classements ni de punitions, pas de redoublement en perspective. Et pourtant, nos enfants apprennent et s'épanouissent. Il a même été montré que les enfants apprennent mieux ainsi5. Nous pouvons choisir de laisser libre-court aux intérêts de nos enfants, les laisser lire, jouer, dessiner ou bricoler des jours entiers s'ils en éprouvent le besoin, et constater qu'ils apprendront naturellement tout en poursuivant leurs activités et en suivant leurs centres d’intérêts du moment. Si nous le souhaitons nous avons encore le droit à une certaine liberté pédagogique6. Nul besoin de gaver les enfants d'une multitude de devoirs ou activités pour qu'ils apprennent, contrairement à ce que propose ou impose la « continuité pédagogique ». Remplir notre temps et celui de « nos » jeunes peut même se révéler néfaste7. L'instruction en famille permet de se dégager en toute tranquillité de cette course effrénée au remplissage du temps et des cerveaux.

Il y a encore d'autres choses qui différencient l'instruction en famille de l'application de la « continuité pédagogique ». Il est bon de rappeler pour commencer que pratiquer l'instruction en famille n'est pas une situation contrainte, nous avons fait un choix. Contrairement aux familles et aux enseignants qui doivent assurer aujourd'hui en toute hâte la « continuité pédagogique », nous avons eu le temps de nous préparer, de décider comment nous voulions passer nos journées, nous avons eu le temps de changer nos façons de faire au fil du temps pour mieux nous adapter aux besoins de chaque membre de la famille, etc. Nous savons aussi que ce n'est pas toujours simple ni reposant, qu'il nous faudra parfois remettre à plus tard nos activités personnelles, que les jeunes nous solliciteront beaucoup. Tout cela, nous le traversons aussi, et depuis longtemps. Cette habitude de passer du temps ensemble nous a permis d'apprendre à trouver des ressources pour à la fois être disponibles pour nos enfants, se ménager des moments de décompression, répondre aux besoins des plus jeunes sans s'oublier soi-même, réussir à s'organiser pour caser tout ce que l'on voudrait faire, etc. Nous ne sommes pas aujourd'hui, d'un coup d'un seul, bouleversés dans nos routines ni dans nos relations intra-familiales. Et nous savons que si cela ne convient plus à un membre de la famille, nous pourrons arrêter quand nous le voudrons.

Concernant plus spécifiquement ce temps de confinement, il faut être très clair : c'est une différence majeure entre l'instruction en famille et ce que vous pouvez vivre actuellement. Quand nous vivons en temps normal, nous sommes tous comptes faits assez peu chez nous, et en aucun cas enfermés. En temps normal, nous rencontrons aussi souvent que nous le souhaitons des copines et des copains : nous voyons d'autres familles, scolarisées ou non, nos enfants voient leurs amis pour jouer, partager des ateliers, faire des visites, des promenades, des jeux, nous nous invitons chez les uns et chez les autres, les enfants sont parfois inscrits à des activités culturelles ou sportives, nous avons accès aux équipements publics et nos enfants y pratiquent des activités (médiathèques, ludothèques, parcs et aires de jeux, piscines, terrains de sports, musées, etc...) etc..  Bref, nous ne sommes pas reclus et la plupart d'entre nous sommes même rarement chez nous toute la journée !


Alors chers parents, aujourd'hui, on vous demande d'assurer chez vous la « continuité éducative », et on vous dit que vous faite « l'école à la maison »... mais ne vous méprenez pas. Votre difficile et involontaire expérience n'a rien à voir avec celle de l'instruction en famille... et elle est beaucoup plus rude !

 

********

2Voir l'article «  Nommer et classer les familles qui instruisent hors établissement : des discours en concurrence pour l’émergence d’un « choix » légitime », de Philippe Bongrand

3Ces chiffres de l'administration du ministère de l’Éducation nationale datent l'année 2016-2017, mais les effectifs ont changé suite à la modification de l'âge d'instruction obligatoire et son passage de 6 à 3 ans avec la loi de juillet 2019. Nous ne disposons pour l'instant pas de données actualisées.

4En plus de ce contrôle académique annuel, nous sommes également soumis à un contrôle de la mairie de notre lieu de résidence une année sur deux.

5Lire par exemple le précurseur John Holt (« Les apprentissages autonomes »), Peter Gray (« Libres pour apprendre ») ou encore Alan Thomas et Harriet Pattison (« A l'école de la vie »)

6A modérer, car depuis des années, les textes législatifs et réglementaires concernant l'instruction en famille vont dans le sens d'une réduction de cette liberté pédagogique. Voir l'article paru dans Lundi Matin n°151: « Une liberté de plus en moins »

7Voir « Laissez les enfants tranquilles ! », de Carl Honoré

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Commentaires

Jiddu Krishnamurti a dit : 

Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale que d'être adapté à une société malade.

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