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LAM - Libres Apprenants du Monde -
25 juin 2018

Article paru dans Lundi Matin - Une liberté de plus en moins

Un article est paru dans le magazine en ligne Lundi Matin du 25 juin 2018 (n° 151)

Pour le lire sur le site, c'est là :

Une liberté de plus en moins - " Parmi les grands mythes français, il y a celui de l'école... Ha ! l'école... gratuite, laïque, et obligatoire. "

L'école n'est pas obligatoire et il est parfois bon de s'en rappeler un instant. L'instruction est obligatoire, mais pas l'école. Jusqu'à maintenant, cela faisait une différence importante : il était et il est encore possible de ne pas scolariser ses enfants dans l'école républicaine, celle-là même qui a lavé au savon la bouche des Bretons, et de bien d'autres encore, pour qu'ils parlent en bon français.

https://lundi.am

 

et pour le lire ici, c'est possible aussi :)

Une liberté de plus en moins

« Parmi les grands mythes français, il y a celui de l’école... Ha ! l’école... gratuite, laïque, et obligatoire. »

L’école n’est pas obligatoire et il est parfois bon de s’en rappeler un instant. L’instruction est obligatoire, mais pas l’école. Jusqu’à maintenant, cela faisait une différence importante : il était et il est encore possible de ne pas scolariser ses enfants dans l’école républicaine, celle-là même qui a lavé au savon la bouche des Bretons, et de bien d’autres encore, pour qu’ils parlent en bon français. D’autres modes d’instructions sont possibles et la mise au pas souvent violente accomplie à l’école n’est pas une fatalité. Sauf qu’elle est en passe de le devenir, comme le renseigne en détail cet article sur l’évolution de l’encadrement de « l’école à la maison ». Surtout, le prisme à travers lequel l’État encadre la possibilité d’une instruction différente démontre clairement, comme par contraste, le rôle de l’école : la délinquance ou le terrorisme sont autant de raisons qui poussent à restreindre toujours plus la marge de liberté hors de celle-ci. S’extraire de l’enceinte de l’école est d’emblée « louche » voire dangereux.

Cet article que nous avons reçu et que nous publions, retrace les dispositions législatives qui visent à encadrer tous ceux qui cherchent justement à sortir du cadre et en ont théoriquement le droit. Notons qu’il a suscité beaucoup de débats au sein de notre rédaction : s’il n’y a aucun doute à avoir quant au rôle social de l’école républicaine : former, normer, formater, évaluer, trier ; « l’école à la maison » nous paraît loin de constituer une issue miraculeuse. Si l’école est comme elle est, c’est parce qu’elle est cohérente avec notre monde : avec le monde du travail, de la sélection, de la concurrence, de la police et de l’État. Or, l’école à la maison n’abolit pas ce monde. Peut-être que la bulle familiale n’est que le revers de la castration insitutionnelle.

Depuis quelques années en France, le nombre d’enfants non-scolarisés par choix ne cesse d’augmenter. C’est un mouvement alternatif qui grossit, de plus en plus de familles préférant se détourner de l’école, classique ou alternative, pour expérimenter au quotidien une autre façon de vivre, d’apprendre, de grandir. Mais cette zone d’expérimentation et de liberté pour les enfants est sous une pression constante et de plus en plus forte de l’État français depuis deux décennies.

Pour étouffer et discréditer ces volontés de vivre autrement, des mesures liberticides à l’encontre des familles qui ne scolarisent pas sont désormais prises, sous couvert de lutte contre le terrorisme (il y a aussi eu, selon les modes, la lutte contre les sectes ou la délinquance). Excuse bien pratique pour faire trembler dans les chaumières et restreindre, encore, la diversité du monde. Même volonté implacable de détruire toute alternative et réduire au silence et à l’illégalité des familles qui souhaitent légitimement vivre en dehors du système scolaire.

Parmi les grands mythes français, il y a celui de l’école... Ha ! l’école... gratuite, laïque, et obligatoire. Sauf que non. En France, l’école n’est pas obligatoire. En France, c’est l’instruction qui est obligatoire, depuis les fameuses loi de Jules Ferry en 1882. Cette obligation d’instruction est toujours inscrite dans le Code de l’Éducation : « ​ L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. » (partie législative, article L131-2).

Ce détail de langage n’est pas anodin car il permet à une poignée d’enfants d’échapper, chaque année, à l’institution scolaire. D’y échapper, parce qu’ils se sentent mal à l’école, parce qu’elle ne s’adapte pas à leurs particularités (de santé notamment), ou tout simplement parce que leurs parents veulent leur donner la chance d’être acteurs de leurs apprentissages, de grandir libres de leur temps et de leurs occupations, et de vivre, dès l’enfance, une existence qui ne leur serait pas volée, entre contraintes externes et compétition incessante.

Certes, l’école peut être émancipatrice. De nos jours, pour certains enfants, l’école est la seule planche de salut, dans un monde de relégation sociale au sein duquel ils ne peuvent espérer trouver une place sans un minimum de bagage culturel et de capital académique. Elle est parfois même une bouée de sauvetage pour sortir de sa condition familiale. Mais il ne faut pas oublier pour autant que l’école a été conçue, dès le départ, comme un outil de mise au pas culturelle par l’État. Elle a ainsi été utilisée pour écraser les cultures locales, pour mieux asservir les peuples (notamment les peuples colonisés [1]

[1] Voir le documentaire “Schooling the...

, et avant eux les enfants des campagnes françaises, que les gendarmes venaient arracher à leurs familles), et à étouffer toute velléité de rébellion.

Ces enfants qui grandissent hors école sont peu nombreux : moins de 25 000 enfants sur plus de 8 millions d’enfants en âge d’instruction obligatoire, soit 0,3%... Certains parents souhaitent instruire leurs enfants en famille pour leur donner une éducation d’excellence, d’autres pour leur donner une instruction religieuse conforme à leurs principes [2]

[2] Toutes les religions sont...

, mais soyons honnêtes, ils ne sont pas légion. D’autres, les plus nombreux et de loin, souhaitent avant tout permettre à leurs enfants de grandir à leur rythme, loin d’un système encourageant la compétition, la soumission et le conformisme. Les approches pédagogiques des familles sont variées : cours par correspondance, utilisation de manuels scolaires, recours à des ressources internet, pédagogie alternative (Freinet, Masson, Montessori...), apprentissages autonomes (où les parents proposent à l’enfant un milieu riche et se rendent disponibles pour soutenir son élan vers les apprentissages, mais où aucun apprentissage formel n’est imposé à l’enfant [3]

[3] Voir le film « Etre et devenir » de Clara Bellar, ou le...

), etc. Très souvent, les parents mixent plusieurs approches, offrant un cocktail unique et adapté à chaque enfant.

Dans tous les cas, la liberté pédagogique dont jouissent les familles est l’intérêt majeur de l’instruction hors école. Or, l’État cherche actuellement à imposer ses méthodes pédagogiques aux familles. Mais pourquoi sortirions-nous du système scolaire si c’est pour le reproduire chez nous ? Pourquoi accepterions-nous des contraintes alors que nous souhaitons nous en affranchir (contenu, rythme des apprentissages, évaluations, etc.) ? Pourquoi renoncerions-nous à notre liberté alors que nous avons choisi et mis en place une organisation qui nous permet de vivre heureux à côté du système ?

Cette liberté de vivre sans école a été accordée de plein droit, et sans que cela ne soulève aucune critique, pendant plus d’un siècle. Des penseurs en ont fait un objet de réflexion et ont trouvé cette perspective enthousiasmante [4]

[4] Voir par exemple « une société sans école » d’I....

. Rien qu’en France, l’instruction en famille (IEF), puisque c’est son nom officiel, a fait éclore des artistes, des auteur.es, des scientifiques (même des prix Nobel comme P.-G. de Gennes ou I. Joliot-Curie), une foule de quidam aussi. L’instruction en famille est un formidable laboratoire qui montre que des façons de vivre et d’apprendre autrement peuvent exister et offrir à la société une fraîcheur et une richesse dont il serait absurde et mortifère de se priver.

Mais qu’importe, depuis deux décennies, le pouvoir a décidé qu’il en était assez. Il faut désormais que cesse cette liberté qui a trop duré et qui commence à faire des émules. Il faut désormais reprendre possession de ces cerveaux, de tous les cerveaux, et veiller à les remplir, en même temps, de la même manière, sans échappatoire possible. Il faut faire sortir du moule de bons petits soldats, ceux qui ne remettront jamais en cause le triptyque produis-consomme-obéis qui tient le système et maintient en place toutes les dominations, dès le plus jeune âge [5]

[5] Voir les travaux de J. Holt ou d’Y. Bonnardel sur la...

. Il faut que cessent d’éclore des générations d’adultes trop critiques à l’égard de la société dans laquelle ils vivent [6]

[6] Selon l’article de RAY (repris par J. Murphy (2014)...

.

Alors que jusque là l’instruction en famille était une réelle liberté, à partir de 1998, la situation se dégrade : l’instruction en famille ploie désormais chaque année sous de nouveaux coups de boutoir, à grands coups de décrets et autres circulaires.

1998 : priorité est donnée à l’instruction dans les établissements scolaires, les contrôles de l’instruction en famille deviennent systématiques [7]

[7] Les familles sont contrôlées chaque année par un.e...

1999 : le contenu des connaissances requises est précisé dans un décret, limitant de fait et pour la première fois la liberté pédagogique des familles ; la même année, une circulaire destinée au personnel de l’éducation nationale précise cette loi, tout en jetant la suspicion sur les familles et en insistant sur la mise en danger (non avérée) des enfants instruits en famille.

2007 : la loi sur la prévention de la délinquance (!) élargit le champ de l’enquête de la mairie, qui touche désormais aussi les enfants suivant des cours par correspondance. La même année, la loi réformant la protection de l’enfance (!) ajoute au contrôle par l’éducation nationale l’obligation de vérifier que les familles ne se regroupent pas pour instruire leurs enfants (alors que les familles et tout particulièrement les enfants, gagneraient tellement à pouvoir pratiquer quand bon leur semble des activités en commun... mais la joie d’apprendre et la convivialité ne sont pas au programme)

2009 : un nouveau décret modifie le contenu des connaissances requises. Cela révèle qu’il est désormais attendu des familles qu’elles suivent ces modifications saisonnières dues aux changements de ministres pour l’instruction de leurs enfants, les familles étant pourtant indépendantes de cette institution…

2011 : une nouvelle circulaire précise le déroulé du contrôle pédagogique effectué par l’éducation nationale. Désormais, les familles doivent impérativement permettre à l’inspecteur.ice de consulter les travaux de l’enfant, et des tests d’évaluation sont mentionnés ; ces derniers ne sont alors que facultatifs.

2015 : un nouveau décret modifie encore le contenu des connaissances requises…

2016 : un nouveau décret concernant les modalités de contrôle limite drastiquement la liberté pédagogique en imposant de se référer aux cycles de l’éducation nationale pour l’évaluation de l’instruction. Les enfants sont désormais obligatoirement soumis à des exercices écrits ou oraux lors des contrôles. Ce décret donnera lieu l’année suivante à une circulaire à destination du personnel de l’éducation nationale qui en reprend le contenu et le précise [8]

[8] Merci à l’association LAIA pour son récapitulatif...

.

Pour la fin de cette année, on nous annonce une « mission flash » de nos parlementaires, qui veulent légiférer sur cette question, et JM Blanquer, actuel ministre de l’Education Nationale, - celui-là même qui avait soufflé à N. Sarkozy la bonne idée de repérer les délinquants dès la maternelle - a déjà commencé son offensive, en voulant étendre l’obligation d’instruction aux enfants entre 3 et 6 ans... Ceux-ci seront désormais contrôlés chaque année, comme leurs aînés, déjà souvent traumatisés par cette inspection où ils se retrouvent pour la première fois de leur courte vie, en position de suspect devant se justifier face à un inconnu dépositaire de la loi... [9]

[9] Voir A. Quatrevaux “Le système scolaire face à...

Et tout ça, en agitant, puisque c’est la mode, la menace terroriste... elle servira donc vraiment à tout justifier, et elle endossera donc toutes les limitations à nos libertés…

Emballement législatif, donc, autour d’une liberté qui dérange et que tous, les uns après les autres, s’appliquent à grignoter, en vue d’une éradication totale sur laquelle tout le monde s’accorde. Chaque nouveauté législative ou réglementaire étant assortie d’une sanction potentielle, les menaces planent de plus en plus lourdement au-dessus des familles qui ne scolarisent pas.

Aujourd’hui, qui s’en soucie ? Qui est prêt à défendre cette poignée d’enfants qui grandissent en dehors de l’école et qui ont envie de continuer à vivre libres ? Qui est prêt à relayer un discours qui ne sera pas une caricature de nos familles, pour se joindre à notre combat ? Qui est prêt à nous faire une place, pour que nos luttes se rejoignent ?

Ces quelques herbes sauvages qui poussent au fond du jardin ne gênent pas grand monde, en réalité... mais elles sont, elles aussi, la preuve qu’une autre vie est possible, la preuve que la vie des enfants peut être autre chose qu’une suite d’évaluations, de comparaisons, de classements, de formatages, avec pour horizon un destin tout tracé par d’autres qu’eux.

Ceux qui sont au pouvoir mènent une guerre idéologique totale, et n’entendent pas épargner les enfants. Ces enfants ont peu de moyens de défense, ils sont dominés et invisibles, sans réels moyens de lutter, inaudibles et déconsidérés. Nous nous devons de ne pas les abandonner. À travers ces enfants instruits en famille, c’est la cause de tous les enfants qui se joue.

[1Voir le documentaire “Schooling the world”.

[2Toutes les religions sont concernées.

[3Voir le film « Etre et devenir » de Clara Bellar, ou le livre “Libre d’apprendre” de P. Laricchia.

[4Voir par exemple « une société sans école » d’I. Illich.

[5Voir les travaux de J. Holt ou d’Y. Bonnardel sur la domination adulte.

[6Selon l’article de RAY (repris par J. Murphy (2014) dans The Social and Educational Outcomes of Homeschooling), aux Etats Unis, les adultes ayant grandi hors école sont plus susceptibles de voter, s’engager dans des luttes locales ou nationales, être membres d’associations ou autres organisations informelles, relayer et signer des pétitions, manifester ou prendre part à un boycott.

[7Les familles sont contrôlées chaque année par un.e inspecteur.ice de l’éducation nationale, et tous les deux ans par la mairie de leur lieu de résidence. Ces contrôles, s’ils jugent l’instruction insatisfaisante, peuvent donner lieu à une injonction de scolarisation de l’enfant. A Noter que les personnes en charge des contrôles ne sont absolument pas formées ni même informées de la réalité et des spécificités de l’instruction en famille, et qu’elles initient dans de nombreux cas un rapport de force défavorable aux familles.

[8Merci à l’association LAIA pour son récapitulatif précieux.

[9Voir A. Quatrevaux “Le système scolaire face à l’instruction dans la famille - Analyse de rapports de contrôle”

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Commentaires

Jiddu Krishnamurti a dit : 

Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale que d'être adapté à une société malade.

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